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Rainis et Aspazija, des politiciens et leaders d'opinion

Rainis et Aspazija. 1905. Auteur inconnu
21 mai 2015

Cette année, la Lettonie célèbre le 150e anniversaire de la naissance des poètes et personnalités Rainis et Aspazija. Cet anniversaire coïncide avec la première présidence lettone du Conseil de l'Union européenne, et représente une occasion de découvrir l'héritage de ces grands esprits dans le contexte plus large de l'histoire de la pensée européenne. Le rapport entre écrivain et pouvoir est aussi important de nos jours qu'il l'était au cours des siècles précédents.

Il n'est pas rare que des écrivains deviennent des militants politiques et des leaders d'opinion. La vie de Rainis (1865-1929) et d'Aspazija (1865-1943) en est un très bon exemple : ils se sont engagés dans le mouvement révolutionnaire, étaient pour l'égalité sociale et l'égalité entre les hommes et les femmes et, après l'indépendance de la Lettonie, ont activement participé à la vie publique. En outre, parallèlement à leurs activités publiques, leurs œuvres littéraires ont toujours véhiculé leurs idées politiques, sociales et éthiques.

L'engagement de Rainis pour l'indépendance de la Lettonie

« Rainis et Aspazija étaient modernes à bien des égards ; leurs idées et leurs œuvres littéraires sont même intemporelles et universelles, et seront vraisemblablement encore d'actualité dans cent ans. L'une de ces idées est celle d'un État moderne », a déclaré Mme Dace Melbārde, ministre lettone de la culture, lors de la conférence intitulée « Aspazijas un Raiņa ceļš uz Latvijas valsti » (L'engagement d’Aspazija et de Rainis sur la voie de l'indépendance de la Lettonie), organisée le 27 février à la Saeima (le parlement letton).

Se référant à une phrase de Rainis (Le peuple peut exister sans État, mais un État sans peuple est inconcevable), elle a également souligné que la création de l'État letton en 1918 n'a pas été une coïncidence, mais une nécessité. L'idée d'un État indépendant est apparue pour la première fois dans la pièce de théâtre de 1904 de Rainis intitulée « Uguns un nakts » (Le feu et la nuit), mais elle devait encore mûrir.

Initialement, les activités politiques de Rainis ont été indissociables de ses œuvres littéraires, mais à la fin du XIXe siècle, il a rejoint le mouvement romantique révolutionnaire Jaunā strāva (Le nouveau courant), qui s'opposait à l'autocratie de l'Empire russe et commençait à diffuser les idées marxistes et socialistes. Il a fait entrer illégalement des œuvres de Karl Marx et de Friedrich Engels sur le territoire letton et en a publié des extraits dans le journal Dienas Lapa. Il ne considérait pas le peuple letton comme une nation insignifiante, mais comme une nation aussi forte et brillante que les autres.

Rainis 1901
Rainis. 1901. Photo: M.Poļakovs

En 1897, Rainis a été arrêté pour ses activités politiques et, jusqu'en 1903, il a été forcé de s’exiler à Pskov et à Slobodskoï. À son retour, il a participé aux évènements politiques de 1905 en prononçant des discours lors de réunions révolutionnaires et en prônant la lutte pour la liberté. Cependant, par crainte de représailles, lui et son épouse Aspazija ont bientôt émigré en Suisse, où ils ont vécu les 15 années suivantes.

En 1920, les deux poètes sont revenus d'exil et ont commencé à participer activement à la vie politique lettone. Rainis a été élu à l'assemblée constituante (dont Aspazija était également membre) et pour les trois premiers mandats du parlement. Entre décembre 1926 et janvier 1928, Rainis a été ministre de l'éducation. Mais les fonctions de poète et d'homme politique dans un État démocratique lui semblaient bien différentes désormais. Il était déçu que l'environnement politique letton, qui, selon ses propres termes, consistait essentiellement en des discussions matérielles et en des activités commerciales, ne fût pas à la hauteur de ses idéaux.

Tout en reconnaissant les faiblesses du nouveau système politique, Rainis considérait cependant le parlementarisme comme l'expression la plus complète de la démocratie : « Rejeter le parlementarisme maintenant reviendrait à rejeter la démocratie. Et rejeter la démocratie, vu la situation dans laquelle se trouve la Lettonie, signifierait rejeter l'indépendance. »

En 1923, il a mentionné dans son journal sa contribution à l'indépendance de la Lettonie : « J'ai satisfait à mon obligation politique : ma participation politique a préparé le terrain pour une Lettonie indépendante. » Il ajoutait que l'idée nationale désormais concrétisée devait servir de base à la construction de cet État indépendant. Il fallait démontrer que l'indépendance donne au peuple la force de s'organiser pour le bien de l’humanité.

Dans un court-métrage du projet #mindpower, l'ancienne présidente lettone Vaira Vīķe-Freiberga explique que les idées de Rainis sur les droits de l'homme, l'égalité et la justice sont toujours d'actualité. L'une des valeurs fondamentales mises en avant par Rainis est la notion chrétienne de pardon. Mme Vīķe-Freiberga a souligné qu'après la Seconde Guerre mondiale, cette même valeur est devenue l'idée fondatrice de l'UE.

Aspazija, mère du feminisme, a eu elle aussi une grande influence sur la formation de l'opinion publique en Lettonie. Les héroïnes de ses pièces de théâtre étaient souvent des femmes qui osaient agir pour lutter contre l'opacité de la société, critiquer les préjugés de l'époque et défendre leurs droits. Dans ses textes et ses discours, elle a défendu le droit des femmes d'accéder à l'enseignement supérieur et souligné que dans la société, la femme devrait jouer le rôle de prêtresse, c'est-à-dire diffuser la lumière de l'esprit.

La liberté de la presse favorise l'éducation et la lumière de l'esprit 

Dans le cadre de leurs activités éditoriales, Rainis et Aspazija ont également soulevé les questions de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Entre 1891 et 1895, Rainis a été rédacteur du journal Dienas Lapa. En prenant ses fonctions, il a souligné que la tâche d'un journal est d'éduquer l'ensemble de la population, et pas seulement les riches, et, ainsi, de contribuer au développement du peuple et de lui assurer un avenir plus heureux.

Sous sa direction, le ton du journal est devenu particulièrement dur, donnant une place de plus en plus grande aux idées socialistes et s'insurgeant contre les idées dépassées du rôle de la femme dans la société. Initialement, le gouvernement de l'Empire russe n'a pas réalisé à quel point les idées du mouvement Jaunā strāva et du journal Dienas Lapa étaient conflictuelles mais, lorsque ce mouvement a conduit à l'organisation de plusieurs grèves des travailleurs, les autorités gouvernementales se sont retournées contre les membres de Jaunā strāva et contre Rainis. Mais les idées exprimées dans ce journal par le poète et par ses collègues avaient pris racine. En 1905, le journal Dienas Lapa est devenu l'un des moteurs les plus visibles du mouvement révolutionnaire, jusqu'à ce qu'il soit interdit par une décision de justice.

Rainis un Aspazija 1905
Rainis et Aspazija. 1905. Auteur inconnu

Plus tard, Rainis a expliqué que, dans les années 1890, la presse lettone devait faire face à trois obstacles : le gouvernement tsariste russe, la noblesse allemande, qui continuait à exercer une grande influence économique et politique en Lettonie, et les philistins lettons. Les représentants des médias ne pouvaient donc exprimer leurs idées que de manière indirecte, et les premières publications en letton diffusant les idées des sociaux-démocrates n'ont pu voir le jour qu'après la persécution et l'exil, aux États-Unis et en Suisse, des membres du mouvement Jaunās strāva. Après l'indépendance de la Lettonie, Rainis a encouragé la presse locale à continuer à faire preuve du même enthousiasme et du même dévouement que durant la période de censure.

Les 3 et 4 mai, à Riga, plusieurs évènements ont été organisés dans le cadre de la Journée mondiale de la liberté de presse, y compris une conférence, lors de laquelle Mme Irina Bokova, directrice générale de l'UNESCO, a prononcé un discours. Elle a souligné à cette occasion qu’à l'heure actuelle, les possibilités d'exprimer librement son opinion sont immenses, mais que de nombreux défis restent à relever, à savoir la censure, le manque de pluralisme, voire la violence.

« Nous avons besoin d’un journalisme de qualité pour que les citoyens puissent prendre des décisions éclairées sur le développement de la société et pour empêcher l'injustice et l'abus de pouvoir. La liberté des médias n'est pas un luxe qui passe après la réalisation du développement durable. La liberté des médias est indispensable pour garantir le respect de tous les êtres humains, la bonne gouvernance et l'État de droit », a déclaré Mme Bokova.

Rainis et Aspazija n'avaient pas peur d'assumer leurs responsabilités et d'exprimer ouvertement leurs points de vue. Alors que nous célébrons le 150e anniversaire de leur naissance, ils peuvent servir d’exemple et d’inspiration pour la Lettonie et pour l'ensemble de l'Union européenne.

Contact
Linda Jākobsone
Chef du département de la communication et des relations publiques de la Présidence